Rechtspraak en adviezen

Cour constitutionnelle 4 avril 2019, n° 53/2019

« En cause : les recours en annulation du décret de la Région flamande du 7 juillet 2017 portant modification de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, en ce qui concerne les méthodes autorisées pour l’abattage des animaux

[…]

B.20.2. La liberté de religion garantie par l’article 10, paragraphe 1, de la Charte comprend, entre autres, la liberté de toute personne de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public, ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des différents rites qu’elle comporte (CJUE, grande chambre, 14 mars 2017, C-157/15, Samira Achbita e.a., point 27; grande chambre, 14 mars 2017, C-188/15, Asma Bougnaoui e.a., point 29; grande chambre, 29 mai 2018, C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a., point 43).

B.20.3. La Cour de justice a jugé que le droit garanti par l’article 10, paragraphe 1, de la Charte correspond au droit garanti par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et que, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, il a le même sens et la même portée que celui-ci (CJUE, grande chambre, 14 mars 2017, C-157/15, Samira Achbita e.a., point 27; grande chambre, 14 mars 2017, C-188/15, Asma Bougnaoui e.a., point 29).

La Cour de justice en a notamment déduit que la notion de « religion » contenue dans la Charte comme dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 12 avril 2007, Ivanova c. Bulgarie, § 78; 15 janvier 2013, Eweida e.a. c. Royaume-Uni, § 80), peut couvrir tant le forum internum, à savoir le fait d’avoir des convictions, que le forum externum, à savoir la manifestation en public de la foi religieuse (CJUE, grande chambre, 14 mars 2017, C-157/15, Samira Achbita e.a., point 28; grande chambre, 14 mars 2017, C-188/15, Asma Bougnaoui e.a., point 30; grande chambre, 29 mai 2018, C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a., point 44).

Alors que le droit d’avoir des convictions religieuses (forum internum) est absolu, le droit de manifester sa foi religieuse (forum externum) peut être soumis à des restrictions, dans les limites fixées par l’article 9, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CEDH, 12 avril 2007, Ivanova c. Bulgarie, § 79; 15 janvier 2013, Eweida e.a. c. Royaume-Uni, § 80).

B.20.4. Bien que l’on ne puisse considérer tout acte inspiré, motivé ou influencé d’une manière ou d’une autre par une religion comme étant une manifestation en public d’une conviction religieuse (CEDH, grande chambre, 10 novembre 2005, Leyla Şahin c. Turquie, § 78; 15 janvier 2013, Eweida e.a. c. Royaume-Uni, § 82), tant la Cour européenne des droits de l’homme que la Cour de justice de l’Union européenne ont jugé que les méthodes particulières d’abattage prescrites par des rites religieux relèvent du champ d’application de la liberté de religion (CEDH, grande chambre, 27 juin 2000, Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France, § 74; CJUE, grande chambre, 29 mai 2018, C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a., point 45).

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, le respect de préceptes alimentaires religieux peut être considéré comme une manifestation en public d’une conviction religieuse, au sens de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 7 décembre 2010, Jakóbski c. Pologne, § 45; 17 décembre 2013, Vartic c. Roumanie, § 35), et l’abattage rituel vise à fournir aux fidèles concernés une viande provenant d’animaux abattus conformément à leurs convictions religieuses (CEDH, grande chambre, 27 juin 2000, Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France, § 73). Dans l’arrêt précité du 27 juin 2000, la Cour européenne des droits de l’homme a ajouté à ce propos que, lorsque les croyants ne sont pas privés de la possibilité de se procurer et de manger de la viande provenant d’animaux abattus conformément à leurs convictions religieuses, le droit à la liberté de religion ne saurait aller jusqu’à englober le droit de procéder personnellement à un abattage rituel (CEDH, grande chambre, 27 juin 2000, Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France, § 82).

[…]

B.23.2. Ainsi qu’il a été dit en B.19.3, l’exception, contenue dans l’article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1099/2009, à l’obligation de principe d’étourdir l’animal avant de l’abattre est inspirée de l’objectif de respecter la liberté de religion, garantie par l’article 10, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement (CE) n° 1099/2009 habilite les États membres, en vue de la promotion du bien-être animal, à déroger à la disposition contenue dans l’article 4, paragraphe 4, du règlement, et ne précise pas, à cet égard, les limites que les États membres de l’Union européenne devraient observer.

B.23.3. La question se pose donc de savoir si l’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, c), du règlement (CE) n° 1099/2009 peut être interprété en ce sens qu’il autorise les États membres de l’Union européenne à adopter des règles nationales telles que celles qui sont contenues dans le décret attaqué, et si, dans cette interprétation, cette disposition est compatible avec la liberté de religion garantie par l’article 10, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

B.24.1. Le décret attaqué abroge, à compter du 1er janvier 2019, l’exception à l’obligation d’étourdir les animaux, qui valait auparavant pour l’abattage effectué conformément à un rite religieux. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.5 que le législateur décrétal est parti du principe que l’abattage sans étourdissement cause à l’animal une souffrance évitable. Par le décret attaqué, le législateur décrétal a donc voulu promouvoir le bien-être des animaux.

B.24.2. Il ressort également des travaux préparatoires que le législateur décrétal, conscient que le décret attaqué touche à la liberté de religion, a recherché un équilibre entre, d’une part, son objectif de promouvoir le bien-être des animaux et, d’autre part, le respect de la liberté de religion.

Afin de répondre autant que possible aux souhaits des communautés religieuses concernées (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1213-1, pp. 15-16), il a inclus, dans le décret attaqué, une disposition selon laquelle le procédé d’étourdissement doit être réversible et ne peut entraîner la mort de l’animal, lorsque la mise à mort fait l’objet de méthodes particulières d’abattage prescrites par un rite religieux (article 15, § 2, de la loi du 14 août 1986, tel qu’il a été remplacé par l’article 3 du décret attaqué).

Les travaux préparatoires font apparaître que le législateur décrétal a considéré que cette disposition répondait aux souhaits des communautés religieuses, en ce que lorsqu’il est fait application de la technique de l’étourdissement réversible, les préceptes religieux imposant que l’animal ne soit pas mort au moment de son abattage et qu’il se vide complètement de son sang sont respectés (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1213-1, p. 16; Ann., Parlement flamand, 28 juin 2017, p. 83).

B.24.3. Compte tenu des objectifs poursuivis par le législateur décrétal et contrairement à ce que prétendent les parties requérantes dans l’affaire n° 6816, la disposition contenue dans l’article 15, § 2, de la loi du 14 août 1986, tel qu’il a été remplacé par l’article 3 du décret attaqué, ne saurait raisonnablement être interprétée en ce sens qu’il est permis d’attendre que l’effet de l’étourdissement réversible s’estompe avant d’abattre l’animal.

Étant donné l’intention du législateur décrétal de satisfaire autant que possible aux souhaits de certaines communautés religieuses, cette disposition ne saurait davantage être interprétée en ce sens qu’elle oblige toutes les communautés religieuses à appliquer la technique de l’étourdissement réversible lors de l’abattage d’animaux effectué dans le cadre d’un rite religieux. L’article 15, § 2, de la loi du 14 août 1986, tel qu’il a été remplacé par l’article 3 du décret attaqué, doit ainsi être interprété en ce sens qu’il propose une méthode d’étourdissement alternative.

B.24.4. Il apparaît également que le législateur décrétal a considéré que le décret attaqué n’a pas d’incidence sur la possibilité, pour les croyants, de se procurer de la viande provenant d’animaux abattus conformément aux préceptes religieux, étant donné qu’aucune disposition n’interdit l’importation d’une telle viande en Région flamande (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1213-1, p. 13). Dans ce cadre, le législateur décrétal a souligné qu’une telle interdiction d’importation serait contraire à l’article 26, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1099/2009 (ibid.), qui dispose :

« Un État membre ne peut pas interdire ou entraver la mise en circulation sur son territoire de produits d’origine animale provenant d’animaux qui ont été mis à mort dans un autre État membre au motif que les animaux concernés n’ont pas été mis à mort d’une manière conforme à sa réglementation nationale qui vise à assurer une plus grande protection des animaux au moment de leur mise à mort ».

En ce qui concerne la possibilité d’importer en Région flamande de la viande provenant d’animaux abattus conformément à des préceptes religieux, il y a lieu de tenir compte, dans le contexte belge, du fait que l’exception à l’obligation d’étourdir l’animal, qui était auparavant applicable à l’abattage d’animaux effectué dans le cadre d’un rite religieux, est également abrogée en Région wallonne à compter du 1er septembre 2019 (article D.57 du décret de la Région wallonne du 4 octobre 2018 relatif au Code wallon du Bien-être des animaux). Dans la Région de Bruxelles-Capitale, l’exception précitée n’a pas été abrogée. »